On était tous au Paradis

25 janvier Reportages

Samedi 15 août 2015  : il pleuvait fort sur la petite route qui mène au camping Grivola de Valsavaranche (1630 m. d’altitude) en Italie mais une partie de l’équipe des démineurs d’HCE avait déjà monté le marabout protecteur. La vérité est que la pluie y était généreuse depuis une semaine... Au fur et à mesure de l’arrivée des participants les spéculations météorologiques allaient bon train. N’est-ce pas notre chère Cécile qui nuançait telle une poétesse l’humeur du temps ? "Demain matin, pluie mais amélioration etc..." En l’occasion, Edmond refusa de consulter sa météo iphonique.

Mais les démineurs d’HCE terminaient l’installation du camp pour cette première nuit et nous voilà tous réunis autour de la grande table. La Chef présente le programme du séjour avec beaucoup de nuances féminines sous le martèlement continu de l’arroseur céleste. Avec la présentation de l’association et celle des convives, force m’est de constater (moi qui ne suis qu’un jeune adepte) que Simone avait fait monter en première ligne les loups des montagnes les plus expérimentés, les gazelles les plus aguerries ; le jeune Charly, musclé de partout, s’était joint à nous sur la demande exprès de Simone. Les jours suivants démontrèrent ce choix judicieux.

Pascale à la voix douce et souriante, Nicole (l’aventurière des premiers jours) et Michèle (vous savez... celle qui prend les adhésions à HCE), Philippe toujours de bonne humeur forment le groupe des "handi-roues". Et moi-même, Edmond, le HM font partie des "élus". Il me semble bien (mais je dois me tromper bien sûr...) que Cécile a même brandi sa gourde de sapinette mais pour après le col Manteau.

Dimanche 16 août : miracle, au matin le temps est clément. La troupe est donc de sortie dans les environs, un charmant petit hameau dont les maisons portent le toit caractéristique en lauzes.

Puis visite de la maison du parc dont le musée renferme tout ce que vous désirez connaître des bouquetins, des loups avec une belle collection de cornes. Nous sommes dans le Parc National du Grand Paradis qui fut créé à son origine pour sauvegarder le bouquetin en voie de disparition. A noter que des planches sont palpables pour les aveugles.

Casse-croûte au soleil et nous reprenons notre virée dans un cadre verdoyant où l’eau est abondante (cascades, torrents). Notre échauffement se prolongera ainsi sans souci météorologique.

Lundi 17 août  : tiens, le beau temps a décidé de nous favoriser ; en avant pour le premier bivouac au chalet d’Orvieille à 2168 m. d’altitude, soit +650 m de dénivelé. La montée est raide mais ne semble pas poser de problèmes techniques particuliers.

Nous passons devant une bergerie-fromagerie en activité et nous nous élevons dans la forêt. Vers 1960 m nous faisons notre pause casse-croûte face au Grand Paradis culminant à 4061 m. Denis, l’homme des montagnes commente les sommets en vue. Il y a déjà de quoi s’en mettre plein la tête.

Un ruisseau délicat à traverser et notre bon Mainon glisse débaroulant avec son chargement dans le ravin. Pas trop de mal pour lui mais encore faut-il l’aider à sortir de ce très mauvais pas. Les joëlettes progressent lentement dans cet univers minéral, les accompagnateurs reviennent près du torrent décharger les bâts du mulet, remontent plus haut le chargement tandis que la douce et ferme Laetitia et René le costaud parviennent à remettre Mainon sur le chemin.

Des cailloux, encore des cailloux et nous voici installés près du chalet d’Orvieille pour notre premier bivouac. Le lieu est accueillant, l’herbe abondante. Stéphane a œuvré pour que le repas du soir soit un festin. Le soleil passe au-dessus des montagnes et poursuit sa course dans un autre monde. Une bâche est tendue (faut pas être trop grand pour s’y glisser dessous et certains préféreront les étoiles comme dernière vision avant de s’endormir).

Mardi 18 août  : C’est la fête à Laetitia. Les choses plus sérieuses encore commencent avec en point de mire le col de Manteau (ou Mento) situé à 2789 m d’altitude.

Premier point : le lac de Djouan ; le chemin qui y conduit est assez classique mais les pierres n’y manquent pas. Casse-croûte réparateur tandis que sur les sommets se profilent des groupes de bouquetins. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fait pas très chaud. Mais le paysage est grand ouvert autour de nous.

Valérie et Eric sont venus gentiment prêter main forte à l’équipe pour ce qui allait être une ascension mémorable. Les participants peuvent contempler le peu de possibilités de passer ailleurs : les pentes sont raides, les chemins hypothétiques, quelques randonneurs progressent lentement.

Cécile donne ses conseils, tronçon après tronçon. Le chemin s’élève d’abord dans des cailloux qui font bien vite place à des éboulis. D’un côté la paroi et de l’autre, le vide ou le retour accéléré au point de départ. Les héros de la montagne des temps modernes se concentrent, solidaires pour franchir d’énormes blocs. Il faut sans cesse qu’un ou deux assurent la parade côté dangereux tandis que les autres font progresser de mètre en mètre les joëlettes.

Un passage difficile est parfois à peine suivi par un ou deux mètres de répit puis le tableau suivant arrive, du même genre. Les premiers à passer reviennent généralement sur leurs pas pour aider les suivants. Le HM que je suis est cependant plus à l’aise dans ce terrain parfaitement guidé par Evelyne et Valérie. Les tableaux se succéderont encore longtemps pour parvenir enfin à un chemin aux épingles particulièrement serrées et souvent en dévers. Technique et force sont absolument nécessaires : les joëlettes ont du mal à braquer dans les virages. Laure a pris la relève pour me guider mais malheureusement nous ne compterons pas le nombre des virages. L’effort de tous ne peut être relâché.

Enfin, c’est le col ! 2789 m d’altitude. L’émotion est alors palpable chez chacun : on y est arrivé ! Tous se congratulent devant ce qu’il faut bien nommer une réussite. De là on peut normalement admirer le sommet du Grand Paradis, la vallée du lac de Djouan et celle des alpages de Meyes (Petit Paradis)… mais aujourd’hui l’ambiance est nuageuse.

Stéphane et Lionnel nous ont rejoint de l’autre côté du col ; ils ont pris un autre chemin, Mainon n’aurait jamais pu passer. Des grêlons commencent à nous accueillir et il faut descendre le versant plus "doux" du col. Les joëlettes foncent et le HM perd de la vitesse sur le chemin boueux, guidé par le camarade Charly le costaud. C’est tout à proximité de notre point de chute que mon compagnon de route me fait remarquer un bouquetin non loin de nous qui ne paraît pas effrayé par notre présence.

Enfin le terrain retenu pour ce second bivouac est atteint. Ah, qu’elle fut bonne la soupe ce soir-là. La pluie comme le froid ne se font pas oublier. Nous finissons par nous rabattre sous la bâche, serrés comme des sardines. Les téméraires, décidés à bivouaquer au-dehors se font plus rares. Tous tentent de s’endormir sous les battements réguliers de la pluie ou peut-être encore perdus dans leurs belles images.

Mercredi 19 août : Le temps est clément mais toujours froid. Le chemin est toujours en éboulis mais en balcon nous donnant à voir une vallée profonde (celle du Nivollet). Ce chemin nous conduira au refuge d’Alessandro : "Citta de Chivasso". Dominique me fera admirer quelques bergeries abandonnées aux terrasses de lauzes, des restes de murs en grosses pierres. Jean-Jacques semble voir de partout sur les hauteurs des formes bizarres ou imaginaires ! Sa voix porte loin, ce qui est pratique au fond pour un aveugle...

Le chemin s’adoucit quelque peu pour finir par quelque chose de roulant qui nous ramène vers une route goudronnée de laquelle des lacs et des vaches se laissent admirer. Un dernier effort et c’est le sentier conduisant au refuge. Nous n’aurons fait que 160 m, de dénivelé mais par une voie finalement assez longue.

L’accueil au refuge est particulièrement chaleureux et nous nous installons dans le confort !

La bière rafraîchit nos gosiers habitués à l’eau et un repas de roi nous est servi. Un repas de restaurant. Ceux qui ont la chance d’être face aux fenêtres peuvent admirer un superbe paysage. Au mur une carte de la région et des échantillons de pierres que Denis examine et commente.

Il faut bien se coucher, dormir un peu avant la prochaine étape.

Jeudi 20 août : nous quittons le refuge avec le soleil encore frais pour une randonnée au pays des lacs, un paysage bien différent de ceux parcourus jusqu’alors. Ca monte encore par raidillons, ça descend ça s’élargit... On dirait un plateau ou un vallon. Nous ferons une halte au lac Rosset ; certains courageux s’y baignent. Au milieu se trouve une petite île. Et voilà notre Mich qui veut rouler sur l’eau. Se prend-elle alors pour...

Une espèce de gué y conduit mais gare aux faux pas. Mich trône bientôt sur cette terre narguant ceux restés sur la rive. Alors, il faut bien y aller et nous la rejoignons.

Mainon traversera sans broncher en prenant la voie des eaux. C’est le casse-croûte. Il y a un peu plus de touristes dans le coin mais HCE a conquis son territoire. Au loin de beaux sommets se détachent. Une autre image du paradis sur terre...

Le temps s’écoule paisiblement et il nous faut reprendre le chemin vers les lacs Trebecchi aux eaux turquoise puis montée vers le lac Noir où nous ferons une pause.

Cécile et Laetitia font une courte reconnaissance dans les environs tandis que quelques uns comme Jean-Jacques, Nathalie, Lionnel se mettront un moment à jouer aux cartes mais là aussi, c’est du sérieux... Ca ne plaisante pas.

Pascal, Yannick, Christophe, Christian sont toujours là également avec leur sympathique présence toujours efficace.

Il nous faut bien laisser cet endroit magique pour retrouver le refuge. Encore une descente raide et nous y voilà. La soirée se terminera par des chansons après un repas toujours abondant et excellent. Nous n’échappons pas à l’émotion du moment, surtout lorsque le dernier chant en occitan sera pour remercier les hôtes qui nous ont accueilli si chaleureusement.

Vendredi 21 août  : nous quittons le refuge de Citta de Chivasso avec les encouragements d’Alessandro et de son équipe mais avec le regret de laisser un endroit bien sympathique et accueillant. Ca donne envie d’y retourner un jour ou l’autre.

Nous commençons la descente du Pian Del Nivollet, un chemin tout d’abord bien confortable au terrain parfois bien détrempé. Plus loin le bruit du torrent en contrebas se rapproche, la progression se fait entre grosses pierres et terrain spongieux mais ça passe bien. C’est un fait que nous avons environ 600 m de dénivelé "négatif" à descendre.

Nous faisons la pause casse-croûte non loin de l’eau sur une pente herbeuse dont la quantité de chardons titille les fesses sensibles. Le temps est magnifique, le savoir-faire de Stéphane, notre intendant, nous régale une fois de plus. Une petite sieste et tout pour être heureux. Ce serait oublier que Cécile nous a prévenus que la descente était raide. Elle n’avait pas exagéré : des marches de toutes tailles, de toutes formes, de toutes hauteurs.

De temps à autre retentit le cri de guerre de René et l’équipe avance encore. Ca continue, d’accord, d’accord ! Le HM évite généralement de se trouver pris en sandwich entre les joëlettes, préférant suivre Mainon qui fait paisiblement son bonhomme de chemin. Foi de non-voyant : à en juger par les voix venant du bas, c’est raide ! Les copains passagers en joëlette doivent être aussi rudement secoués. Quelques passages plus tranquilles ? Mais non, ça redescend aussi sec.

Enfin, le hameau du Breuil fait son apparition avec son camping. Toute l’équipe se retrouve dans la joie, la bonne humeur et l’immense satisfaction d’avoir réussi ce tour de magie mais autour du verre de l’amitié. Les photographes auront probablement saisi le sourire de tous.

Bon, il y a la douche chaude pour quelques uns et le campement est remonté au bout du camping, un peu à l’écart (tout compte fait, heureusement, ne sommes-nous pas les plus bruyants ?). L’apéro-pluches avec discussion sur la façon de tailler les carottes et nous nous retrouvons sous le marabout pour ce dernier repas du soir qui se terminera par la célèbre crème "Mont-Blanc" rebaptisée par l’un ou l’autre crème "Grand Paradis".

Enfin, le tour de table où chacun s’exprimera selon sa sensibilité, son vécu mais l’échange ira bien au-delà du sourire de l’un, des étoiles dans les yeux de l’autre, de l’émotion pas toujours mise à nue par pudeur. Il sera question de challenge, d’engagement, de bien considérer ce qui est nécessaire pour vivre un séjour itinérant avec le froid, la pluie possible sans oublier l’altitude. Bref, des conditions de vie pas forcément évidentes pour les handi comme pour les accompagnateurs. Bref, je ne doute pas que ces discussions auront une suite au sein des instances d’HCE.

Quoi qu’il en soit, minuit est là, quelques rires encore dans l’installation de la dernière nuit et le silence tombe.

La nuit sera courte et le lendemain ressemble à tant d’autres derniers jours ; il faut se séparer après avoir plié une dernière fois le camp, moment pas toujours facile mais il faut grimper dans une voiture, aller chercher un train ou un avion dans la civilisation.

Pour clore ce compte-rendu, je prends la liberté de remercier chaleureusement nos accompagnateurs au nom de tous les passagers (même si cette façon de dire peut être sujet à discussion) et je ne peux m’empêcher de citer "Les Conquérants De l’Inutile" de Lionnel Terray car je trouve là le meilleur qualificatif de l’équipe au complet : pour le plaisir des yeux, des sens, le plaisir du cœur ou de la beauté plein la tête.

Texte : Edmond ; photos : Denis, Pascale et Pascal, René.

Merci au Parc National du Grand Paradis qui a rendu cette aventure possible en nous autorisant à bivouaquer dans le parc.