Haut Verdon du 10 au 17 août 2019

25 janvier Reportages

Un séjour en lévitation entre l’eau, la terre, l’air et le feu. De retour dans mes montagnes savoyardes, je me replonge dans la semaine effrénée dont je reviens, au cœur de ces montagnes pelées qui dominent le Val d’Allos aux portes du Mercantour. Des sommets qui, vus d’en bas, ne sont pas vraiment attirants. Et pourtant, une fois engagée sur les sentiers qui y mènent, j’ai été, comme mes 23 compagnes et compagnons de randonnée (Charlot compris), bouche bée devant les beautés qui s’y cachent.

La 1ère journée nous mène du camp de base à Villars-Heyssier jusqu’à Colmars-les-Alpes où nous revenons le soir en camion pour profiter du spectacle de feu de la fête médiévale. Le lendemain, les gorges de St Pierre et son sentier creusé à flanc de falaise au-dessus du vide en font frémir plus d’une.

Pour ce 2ème jour de rando, les qualités techniques et la concentration de tous·tes sont mises à l’épreuve sur ce chemin vertigineux où Charlot a même la chance d’être débâté dans les passages les plus étroits ! La pause de midi nous trouve lézardant sur les pierres au soleil, détendant nos gambettes dans l’eau fraîche du torrent en compagnie de Christiane. Accompagnatrice en montagne et présidente de l’association Mercantour Écotourisme, elle nous a régalé·es de ses explications sur la faune, la flore et la géologie de notre terrain de jeu, malgré les protestations d’Esther !

Le calme avant la tempête. Les éclairs et les coups de tonnerre nous rappellent à la réalité et 3 minutes plus tard, nous sommes trempé·es jusqu’aux os. Heureusement, la nuit est prévue à la cabane de Congerman et nous savons que nous serons bientôt à l’abri. Sauf si ... « Eh Olive, t’as la clé du gîte ? – Bah non, moi je suis juste allé au garage ce matin. – Oh merde ... Olive (l’autre) ! C’est toi qu’a la clé ? – Non ... ça doit être Christiane, elle vient de partir ! – (Il part en courant la rattraper et revient quelques minutes plus tard.) – Elle l’a pas ... Comment on fait ? »

L’avantage d’un séjour avec 2 accompagnateurs, c’est que dans ces moments-là, il y en a un qui peut avoir le plaisir de redescendre les gorges de St Pierre sous une pluie battante jusqu’au camp de base, prendre sa voiture, aller faire la queue à l’Office du Tourisme pour récupérer la clé dudit gîte et se farcir 30 min de piste jusqu’au col le plus proche puis une nouvelle course en sous-bois pour ouvrir la cabane juste à temps pour l’arrivée de la 1ère joëlette.

Pendant ce temps, le reste de l’équipe avance dans un gymkhana en forêt, fait de racines glissantes, épingles serrées, orties et troncs en travers du sentier. L’eau chaude de la douche, le poêle, la table, le canapé et les lits du gîte sont donc les bienvenus le soir venu, permettant aux randonneur·euses une fois au sec, de se livrer à des défis d’équilibristes, de prestidigitation et de troc de haricots.

Le lendemain, le retour au camp de base au hameau du Plan est plus reposant. Un petit passage scabreux avant la baisse (= le col) de l’Orgeas et nous descendons jusqu’à Ondres, joli hameau aux toits de bardeaux et sa place du village enherbée.

L’arrivée précoce au camp de base nous permet de préparer les transferts des jours suivants, de profiter d’une baignade au soleil dans le torrent, de commencer la préparation du repas et surtout de se livrer à des courses de joëlette (il faut croire que nous n’avions pas assez fait d’efforts ce jour-là !).

Nous ne sommes qu’au soir du 3ème jour et pourtant, le repas et la soirée pourraient laisser croire à une observatrice que nous profitons de notre dernière soirée. Cette tablée respire la complicité, la joie d’être là ensemble, de partager autour de ce qui nous rassemble : la montagne, quelques bières, la marche, l’entraide, un bon repas, le dépassement individuel et collectif, les blagues (plus ou moins) grasses, les jeux de cartes et l’accordéon d’Amélie. Ces soirées sont précieuses, car elles nous permettent de découvrir comme nos parcours peuvent parfois se ressembler et se recouper, alors que d’autres sont tellement différents. Finalement, peu importe l’âge, le milieu social, les capacités physiques ou intellectuelles, nous sommes là pour nous rencontrer et une fois de plus, au lieu d’exclure, la diversité nous rassemble.

Quoi de mieux pour conclure ce séjour que 3 jours d’autonomie ?! L’échange « Demain, petitdéj’ à 7h30 avec les sacs prêts ! – Encore ?! » sonne comme un refrain au moment d’aller au lit.

La matinée est loooongue jusqu’au parking de la Fuchière. Quoi de plus monotone qu’une piste en terre en forêt, sans aucune vue, sur de trop longs kms. Ce chemin sans heurts permet tout de même à notre marcheuse non voyante et à notre âne Charlot, malgré ses 70 kg de bâts sur le dos, d’avancer presque à la même vitesse que les joëlettes. Fait rare ! L’arrivée sur le parking qui marque le début du sentier et surtout la pause déjeuner est plus qu’appréciée. Attiré·es par l’eau comme par un aimant, nous découvrons des vasques d’une eau limpide au creux de grandes dalles. Les plus téméraires plongent dans cette eau glaciale qui réveille le cerveau, régénère les muscles mais ne donne pas envie de trop s’y attarder.

Cette pause déjeuner est aussi l’occasion de rencontrer Vincent, vidéaste mandaté par HCE pour nous suivre pendant 24h comme l’an passé autour du Mont Thabor. Cette année, c’est la partie vie quot’ qui l’intéresse : les relations entre participant·e·s, les moments de soin et d’aide à la personne, la préparation du repas, l’installation du bivouac, des toilettes, l’allumage du feu de camp, etc. C’est la partie intime du séjour et aussi notre propre intimité qu’il filme, toujours avec beaucoup de respect. Pour la partie ambiance et apéro, il a loupé la soirée de la veille et le maître-nageur en slibard, mais c’est peut-être tant mieux pour nous !

Ce soir, nous avons droit à la pleine lune qui éclaire comme en plein jour le vallon enchanté que nous dominons et qui réveille le mythe du loup du Mercantour. Quand un cri s’élève dans la nuit, un seul se lève sur le banc en s’exclamant : « C’est grand ! » mais nous le pensons tous·tes un peu. Nous sommes donc un peu déçu·e·s en découvrant qu’il ne s’agissait que d’Olivier qui s’était pris pour un loup-garou.

Au réveil, les duvets sentent le boucané et on se bat pour avoir de la confiture et du pain au petit-déj’. Pour autant, au matin de ce 5ème jour, il est difficile de se dire qu’un tiers de l’équipe n’avait jamais touché de joëlette avant de débarquer dans ce séjour. Chacun·e a trouvé sa place, sait quoi faire, qui aider, où aller, nous avons trouvé notre équilibre.

Nous continuons notre aventure dans ce vallon magique jusqu’à un petit col qui débouche sur un plateau majestueux. Au-delà, un impressionnant défilé plonge vers la vallée suivante. Après la sieste au bord du lac de Lignin et ses linaigrettes, nous posons la bâche bivouac dans un alpage 200m plus haut, au pied d’un troupeau de 2000 moutons, 4 patous et 1 âne dont les adieux avec Charlot sont déchirants. Le vent tombe avec la nuit, la lune encore presque pleine éclaire progressivement les falaises de la montagne du Carton et réveille les loups cachés en nous, aux voix parfois un peu éraillées.

Pour notre dernière journée de marche, la nature nous réveille avec le fabuleux spectacle du jour qui se lève et dessine un liseré rouge derrière les crêtes encore sombres des montagnes. Bivouaquer à 2400m d’altitude, c’est avoir le privilège de ces instants magiques, du silence de la nuit sous la voute étoilée, de se faire réveiller par une lune trop lumineuse, d’entendre (pour de vrai cette fois !) un jappement de loup au loin, de profiter du soleil au petit-déjeuner.

Il nous faut au moins tout ça pour nous lancer dans notre dernière étape après la construction d’un cairn géant pour marquer notre passage. La baisse du Détroit nous fait plonger dans un half-pipe géant, suivi d’une descente dans un bois de mélèze magnifique et d’une dernière montée bien raide. Il ne manque plus qu’un dernier passage délicat, avec dévers et sol glissant au cœur d’un éboulis puis quelques pas d’escalade franchis avec ardeur par nos 4 joëlettes et notre marcheuse non-voyante avant d’attaquer la dernière looongue descente vers Peyresq.

Les pieds et chevilles des marcheur·euses souffrent, les dos et les fesses des passager·e·s joëlette aussi. Les souffrances continues de Paul aux jambes, au cou, au dos, amènent d’ailleurs ses pilotes à réapprendre la joëlette. Chaque secousse étant source de douleur, pas question de descendre à pleine balle. Au contraire, le pilote arrière porte tout sur les bras et on met 2 guides à l’avant pour tenir les brancards qui s’envolent et annoncer chaque petite racine ou pierre qu’ils ne peuvent éviter. Tout est mis en œuvre pour amortir au maximum les chocs et limiter les douleurs de notre ami Paulo.

Ce sont ces détails qui nous rappellent que nous vivons une aventure très spéciale. Comme le dit Didier, les comptes-rendus des séjours HCE paraissent toujours merveilleux. Pourtant les désagréments du quotidien existent. Je ne vous ai pas parlé des innombrables pauses-pipi des passager.e.s, du réchaud à la noix qui met 1h à cuire 20 pauvres saucisses en bivouac, de la rosée du matin qui nous trouve tous·tes humides et gelé·e·s au réveil, des pieds dans la merde, des transferts aux toilettes juste avant le coucher, de la porte du camion qui ne ferme plus, des tensions qui montent parfois ou des accidents de chaise percée. Si c’est le cas, c’est que tous les moments de rires, d’effort, de solidarité, valent bien plus dans nos souvenirs. Il y a tellement de partage et d’humanité qu’on en viendrait même à oublier que nous randonnons avec des personnes qui ne marchent pas, ne voient pas avec leurs yeux ou sont parfois dépendantes des autres pour tous les gestes du quotidien.

Comme à l’accoutumée, au dernier matin, les adieux rendent les yeux humides. Les pleurs de nos passager.e.s et les mots de notre marcheuse non-voyante viennent nous rappeler que pour elleux peut-être encore plus que pour nous, accompagnateur∙trice·s actif·ve·s, cette semaine
en montagne est une belle parenthèse qui peut permettre d’oublier ou de vivre autrement ses différences que d’aucunes appellent handicap. Il est l’heure de se séparer et de poursuivre chacune notre chemin avec en tête des souvenirs inoubliables de ce séjour pétillant et le bonheur saisissant d’appartenir à la grande famille HCE !

Merci Aurélien et Olivier, duo d’accompagnateurs-intendants de choc, pour votre sens de l’improvisation et les petites attentions portées à chacun·e d’entre nous au cœur de ce joyeux bordel !

Merci Paul, Julie, Lionel et Marie-Christine, passager.e.s joëlettes, pour la confiance que vous nous avez accordée sur des sentiers risqués, dans des soins souvent intimes et votre humour à nos vannes pas toujours super drôles ! Merci Anne-Marie, si nous t’avons fait oublier ta canne blanche, c’est que tu nous as vite fait oublier que tu ne voyais que dalle où tu mettais les pieds ! Merci Charlot, fidèle âne, d’avoir porté notre bouffe tout au long du séjour, bourricot par moments mais toujours présent. Merci Esther, Rose, Aurélien, Zoé, Matthieu, Marie-Ange, Louise, Olivier, Baptiste, Louis, Lucile, Amélie, Emilio, Anne-Sophie et Didier pour notre effort partagé dans les brancards et les cordes, les transferts, les soins.

Merci à tous·tes pour vos rires, vos blagues pourries, vos histoires de vie partagées, vos cris de loups, vos chants, votre générosité, votre bonne humeur et votre bienveillance. Et mention spéciale à nos 2 benjamin·e·s, Zoé et Emilio, qui à 16 ans, ont déjà tout compris, du pilotage à la vie de groupe en passant par le contact avec les passager.e.s avec beaucoup de modestie et de simplicité. Lecteur·trice, attend-toi à apprécier leur dévouement, leur énergie et leur douceur pendant encore de nombreuses années sur des séjours HCE. Emilio, dépêche toi de devenir accompagnateur, HCE a besoin de toi ! Amies, nous nous reverrons !

Les mots du séjour par ses participantes. Saurez-vous les retrouver dans le texte ?! Générosité, bonne humeur, humour, entraide, effort, cairn au bivouac, pétillant à tout point de vue, bienveillance à autrui, rencontres, génial, diversité, partage entre générations, nickel, équilibre, vie de groupe, paysages fabuleux, chaise percée, pleine lune, humidité, loup, un séjour en lévitation entre l’eau, la terre, l’air et le feu, 7h30, le loup, humanité, dépassement, générosité, partage, saisissant, pied dans la merde, boucané, une belle parenthèse, grand parleux petit faiseux, bordel, “t’as les clés du gîte, Olive ?!”, accordéon musette, gorges de St Pierre, maitre-nageur, slibard, bivouac, aventure, modestie, simplicité.