HCE au Maroc - 10-25 juin 2023

25 janvier Reportages

En 1990, lors du premier séjour dans le Haut-Atlas Marocain organisé, François Dolsky fait partie de l’équipage en tant que passager joëlette. Il écrit alors : « finie la culpabilité lorsque nous exigions le droit et l’accessibilité aux transports ; fini également de se regarder soi-même comme un zombie ou comme un être futile et fuyant sa condition, sous le simple prétexte que nous voulions partir ; fini surtout, de se voir interdire la liberté de se mouvoir, qui conditionne toute nos autres libertés. Nous pouvions enfin nous confronter au rêve ! » (voir : https://www.hce.asso.fr/A-propos-de-l-histoire-d-Handi-Cap-Evasion.html)

C’est donc une grande histoire d’amour entre HCE et le Maroc, et les liens tissés avec ce pays sont très forts. Cette année plus encore, alors que nos amis marocains souffrent des conséquences de la COVID, ce voyage a renouvelé l’engagement d’Handi Cap Évasion auprès d’eux.

Cette année, nous sommes fiers et très chanceux d’accompagner Christophe, Yolande, Salvatore, Nathalie et Pascal dans cette aventure pilotée par Olivier !

30 ans avant...

... aujourd’hui

Chacun est arrivé au point de rendez-vous sans se chercher. Le groupe se remarque de loin : une pile incalculable de sacs de toutes les couleurs, des gens qui semblent s’être rassemblés par hasard, depuis plusieurs heures, pour attendre ensemble enfin ce qu’ils attendent seuls dans leur coin depuis des mois. Tout le monde est là, avec son lot d’enthousiasme, d’excitation, d’attentes, d’inquiétudes ou de soucis sourds, laissés sur le pas de la porte ou dans la voiture sur le parking.

Quelques minutes suffisent pour qu’un séjour HCE démarre et mette de côté tout le reste. Tous ensemble, nous sommes comme ces bancs de nuages à travers le hublot : réunis dans nos différences et soucieux de trouver une place où se faufiler. En commun : la grande famille HCE, que certain parmi nous connaissent depuis très longtemps, que d’autres apprivoisent encore un peu. En commun : la chance de faire partie de l’équipe Maroc 2023. Dans l’avion, on s’amuse à écouter les conseils des voyageurs marocains qui nous font noter les ballades immanquables : on finit par leur avouer qu’on ne verra rien de tout cela cette fois-ci, car quelque chose d’autre nous attend. Mieux : on est attendus. Par autre chose. En avant, toute !

Les deux avions sont à peine suffisants pour prendre conscience que nous sommes partis, et nous voilà déjà à Marrakech, où nous sommes chaleureusement accueillis par Youssef et son équipe. Non, non, on n’a rien oublié.

La nuit a été courte : nous avons rejoint le petit hôtel d’étape où nous dormons le temps d’atterrir, avant de reprendre la route le lendemain direction l’Atlas. En fait si, on avait oublié quelque chose : le sac d’Olivier. Celui-ci s’est perdu à l’aéroport, alors que notre malheureux guide le pensait bel et bien parmi nous puisque le sac rouge était là, celui de Gérard (vous avez suivi). La nuit se fait sans Olive, reparti à l’aéroport, également le petit déjeuner (majestueux), et même le premier trajet jusqu’au premier bivouac.

Heureusement, le sac finit par être retrouvé, et Olive nous rejoint dans un village de bord de route : les deux d’entre nous qui l’ont attendu auront le plaisir de déguster avec lui leur première tajine, et de faire ensemble les dernières heures de route qui les séparent du campement.

Le défilé des paysages derrière la vitre nous laisse sans voix : nous observons, émerveillés, le pays qui nous accueille : aride, volcanique, on ne sait même pas comment traduire ces rochers saillants de la route ‘à la marocaine’, que des travaux innombrables nous auront laissé du temps pour contempler.

A l’arrivée, tout s’est enchaîné : Christophe se sentant de plus en plus mal, il n’y a pas d’autre choix que celui de l’hospitalisation. Nouveau départ ce matin d’Olivier qui l’accompagne sans savoir quand il reviendra. Et comme si ce n’était pas suffisant, une fuite de gaz a jailli de la tente cuisine : Brahim n’a pas eu le temps de s’échapper de la tente, et voici notre cuisinier dont les bras ont été brûlés ! Les blessures étaient trop importantes : il a dû partir à Marrakech avant la fin du jour.

Le soir, le dîner aux bougies sous la tente berbère a adoucit les cœurs, et le premier repas a redonné du sourire et annoncé la couleur : quel festival de saveurs nous attend tout le séjour ! A l’heure où j’écris, ça roupille fort sous la tente, après notre première marche guidée par Aurélien, direction Aziwane. Il prendra les reines des jours suivants avec une grande énergie : bravo à lui d’avoir fait face à ces revirements !

La 2e nuit était courte ; la fatigue l’a emporté pour certains, mais pour d’autres, la nuit a été un concert avec les appels à la prière, les ânes, les aboiements des chiens errants… Mais ce qu’il reste surtout de cette première nuit de bivouac, c’est le plafond étoilé inégalable, la lumière ocre du lever du jour, l’odeur du café au réveil qui font l’effet d’un baume. Cette fois-ci, plus de doute, nous sommes arrivés !

Entourés d’échos
Des totems aux sarcophages
Qui murmurent silence

La région est pleine de contrastes : entre vallées verdoyantes, paysages champêtres, plateaux désertiques, on en a déjà plein les yeux… Le cirque d’Aziwane, par lequel nous terminons la journée, est spectaculaire.

La journée a été dense, le chemin parfois délicat. Le terrain de jeux est tour à tour rocailleux, marchant, pentu, vertigineux, ardu, malicieux parfois. L’arrivée au village se voulait discrète : il faut peu de temps pour intriguer tout le village qui semble sortir de chez soi pour venir nous trouver sur notre petit terrain labouré. Il faut dire qu’Aurélien nous a tentés pour une petite ballade (ballade ?) pour déambuler dans les petites ruelles… On réveille tout le village !

Le soir, la poussière pailletée se mélange aux dernières lueurs du jour et les enfants venus par dizaines la font tournoyer par leurs allers-retours précipités. On commence à se constituer un petit lexique de mots prêts à l’emploi, on fait comme on peut pour essayer de communiquer et cela les fait beaucoup rire ! Dans les langues se mêlent l’arabe et le berbère. A défaut des mots, certains tentent les postures acrobatiques, distribuent des petits cadeaux apportés pour l’occasion. Le soir, on a déjà l’impression d’être partis depuis très longtemps. On affronte la 3e nuit, la plus douloureuse pour les muscles, celle où le corps accepte définitivement l’aventure…

Le matin est somnolant, mais en avant toute ! On crapahute, et l’ascension vers Ti Dell est avalée en un rien de temps.

A l’arrivée à Tiddas, c’est la surprise : Olivier est de retour !! Les retrouvailles sont joyeuses et on est soulagés de savoir que Christophe a bien été pris en charge. On se réjouit de démarrer pour de bon le séjour.

Les plateaux servis par l’équipe marocaine sont toujours extraordinaires : la présentation, toujours très soignée et pleine de couleurs, est aussi délicieuse que ce que nous dégustons. Au loin, le Mont Sirwa veille sur notre route.

A la recherche des pépites d’or d’Aurélien…

A l’heure de la sieste, c’est l’occasion de dormir, bavarder, compter et faire un classement des ronflements, regarder nos muletiers terminer leur préparation avec soin, ou découvrir les alentours sans le sac à dos.

La découpe de la toile de tente transforme en panoramiques les points de vue majestueux qui s’offrent à nous : allongés dessous, chacun rêve, médite, soupire, nourrit ses pensées ou s’y laisse envahir. On pense aux absents, à nos proches, à leur place dans nos vies, à notre place dans la leur, aux essentiels et à ce qui pourrait bien ne plus l’être au retour. On ne sait plus quel jour on est et on a repéré ceux qui avaient l’heure : maintenant, on se réveille avec le soleil.

Une voix après l’autre
Chanter comme le dernier jour
Au creux des montagnes

On traverse les montagnes, on y dort on y vit, et on imagine leur histoire qu’on trouve dans nos lectures : dans son livre Les Berbères – Mémoire et identité (1980) – d’où viennent les citations suivantes – Gabriel Camps parle des zones berbérophones des régions montagneuses de l’Afrique du Nord en expliquant qu’elles ont été « non seulement des bastions qui résistèrent à l’arabisation, mais […] aussi de véritables refuges dans lesquels se rassemblèrent les agriculteurs, fuyant les plaines abandonnées ».

C’est aussi tout un rapport à la nature avec lequel nous reconnectons durant le périple, comme sensibles à la conscience africaine « d’une puissance répandue dans la nature » où « la plus sensible des manifestations du sacré » se retrouve manifestée dans la montagne, ou dans tel ou tel « accident topographique ».

« Est-ce la forme de la montagne qui attire ainsi la divinité ou bien son élévation qui, rapprochant l’homme du ciel, siège d’une divinité toute-puissante, justifie la vénération dont elle est entourée ? […] ». De l’Atlas que nous contemplons, « Pline l’Ancien (V, 1, 7) dit qu’il brille la nuit de mille feux et retentit des ébats des égipans et des satyres qui jouent de la flûte et du tambourin. Comment s’étonner qu’une crainte religieuse s’empare de ceux qui s’en approchent ? Maxime de Tyr (VVV, 7) prétend que l’Atlas est à la fois un temple et un dieu. Saint Augustin (Sermones, XLV, 7) reprochait à ses ouailles la coutume qu’ils avaient de gravir les montagnes pour se sentir plus près de Dieu. »

Parfois, il faut tailler nous-même le chemin !

Samedi : on peine à croire que cela fait une semaine que nous sommes montés dans l’avion. Christophe ronge son frein à l’hôpital en attendant son rapatriement : nous pensons beaucoup à lui. La montée de ce matin était délicate et une fois de plus, nous devons beaucoup à nos amis marocains. Lahcene et Medhi font la course avec leur joelette : leur énergie nous impressionne souvent, et ils nous auront beaucoup aidés ! Les sons de leurs instruments sortis hier soir pour fêter l’anniversaire de Christine résonnent encore à nos oreilles. Les mouvements dansés que nous essayons de reproduire, les sons de nos voix à l’unisson nous portent sur le chemin...

On commence à sentir que l’on flanche, qu’il y a moins de patience et plus d’essoufflements : et puis il suffit d’un encouragement de la main pour repartir. Plusieurs chutes, les virages serrés, les éraflures qu’on ne compte plus désormais, et au pic, les embrassades, les hourras, et le pique-nique salutaire. On souffle et on fait silence. Le sachet de mélange de graines de Youssef est toujours une bénédiction : d’un jour à l’autre il grossit comme par magie alors qu’on le dévore ! Toujours là pour nous ravitailler.

Tiswitin, 2600m !

Nouveau paysage
Des rochers entaillent la peau
À couper le souffle

La journée éprouvante d’hier a laissé des traces, mais elle a aussi rapproché les cœurs. Après un goûter d’exception (beignets et pâte de patate douce, miam !), nous avons droit à une halte pour prendre le thé chez un ami d’Olive. La couleur dorée du thé au safran ravit nos yeux et nos papilles.

Sur le campement logé dans une petite parcelle étroite, nous soufflons. On devient expert aux jeux de société Pickomino et au Saboteur, on tente de se laver, on évoque les habitudes qui manquent ou que l’on voudrait fuir. Le petit Omar, qui accompagne l’équipe marocaine, me fait traduire sa question : « Pourquoi vous venez au Maroc, alors que vous avez tout ? » La question fait sourire, et beaucoup réfléchir…

Après ses services, Medhi raconte avec vivacité et philosophie l’histoire de son pays qu’il veut transmettre aux voyageurs : les histoires se mêlent, pas si différentes, les valeurs, les espoirs aussi, les doutes de toute une génération sur son avenir se disent. Le soir jusqu’à très tard, Lahcene prépare avec grand art les pains qu’il nous servira au petit déjeuner.


Le village s’endort
Dans la brume le petit jour
Perce les nuages

Les voix ont changé, tout comme les visages. On entre en confidence plus naturellement, on laisse faire, on vide nos sacs. On a perdu des objets, on en retrouve d’autres et on s’amuse de penser les avoir perdus. On est presque gênés de sortir les autres vêtements, ceux qu’on avait mis de côté, les propres : dans ces immenses espaces que l’on parcourt, on se sent tout petit et on sent le poids plume de l’essentiel, se moquant doucement de soi-même face au poids du sac toujours trop gros.

Les Gorges de Tislite, impressionnantes, finissent de nous laisser bouche bée. On réfléchit : non, décidément, on n’avait jamais vu ça ailleurs. C’est presque trop pour un dernier soir d’étape montagne, et l’on se tient longuement debout pour contempler. Ce voyage qu’Olive nous a façonné est de bout en bout extraordinaire, et l’on se sent très chanceux d’y prendre part.
En fin de journée, achat de safran et de tapis. Le soir, au dîner, un poulet citronné délicieux. Puis c’est déjà le petit jour, et il faut dire au revoir à nos chers muletiers.

Yala ! Vers Essaouira ! Parce que comme dit toujours Youssef :

partie 2 à suivre - Vers Essaouira

*********Adèle Godefroy