Massif des Aravis du 20 au 27 juillet 2013

25 janvier Reportages

Cher lecteur, bonjour.
Je suis Tartare, l’âne qui a accompagné les passagers en joëlette et les bénévoles durant ce séjour en Bornes et Aravis. Sous la conduite de Franck, nourris et bichonnés par Manuel (qui était intendant pour la première fois), ils ont parcouru les sentiers de Haute Savoie.

Ils étaient en tout vingt-et-un (je le sais, puisque c’est moi qui portait leurs affaires), avec pas mal de jeunes accompagnants dont c’était le premier séjour…

Je passerai vite sur la journée de dimanche, qui était plus une initiation à la joëlette qu’une étape de la randonnée. Je ferai simplement remarquer que certains nouveaux ont paru quelque peu effarouchés par certaines pentes un peu raides qu’il fallait descendre avec les passagers. Moi qui suis d’un naturel plutôt réservé (sauf parfois le matin, pour réveiller les troupes), je me taisais mais n’en pensais pas moins : je connaissais bien le parcours, et je savais que ces passages n’étaient qu’une plaisanterie à côté de ce qui se profilait.

Toutefois, je dois avouer que ce n’était pas sans plaisir que j’assistais aux débuts de ces jeunes novices : d’abord parce qu’il est toujours plaisant de voir de nouveaux membres à HCE, mais aussi parce qu’on allait sans doute vivre quelques émotions fortes qui alimenteraient les annales de cette vénérable association.

Le lendemain, après un lever à 6 heures et une mise en route quelque peu laborieuse, le groupe quitta le camping de Saint-Jean-de-Sixt pour rejoindre en voiture et camion le point de départ, au-dessus d’Entremont. Une longue montée de près de 900 mètres de dénivelé constituait l’essentiel de cette étape.

Alors que les équipages s’élançaient sur une piste forestière un peu pentue, je montais plus tranquillement en maudissant les nombreux paquetages qu’on avait voulu me mettre sur le dos. Mais pour être tout à fait juste, je dois avouer qu’on m’avait confié aux soins d’une charmante accompagnatrice, Elisabeth, qui m’a accompagné durant presque tout le séjour, non sans patience parfois… On a tous fait une bonne pause –méritée- à des chalets d’alpages situés 300 mètres en-dessous du col à franchir.

A partir de là, le profil des accompagnants s’est affirmé : il y avait d’abord les brutes (peut-être évadées du Tour de France, avec des choses pas très catholiques dans la gourde), tout devant, à l’autre extrémité, les timides, plus sages, et entre, tout le panel observable en début de parcours. Alors que l’orage menaçait (sans éclater, heureusement), la belle équipe s’élevait vaillamment, pour finir par passer le col non sans soulagement. La suite fut une courte et reposante, descente jusqu’à un lac, le Lac de Lessy, où fut installé le bivouac.

Le lecteur me permettra ici quelques remarques qui ne regardent que moi, mais que les humains devraient méditer. Primo, j’ai toujours trouvé étrange leur manie de vouloir toujours dormir sous une bâche ou une tente (à l’exception de certains que les autres jugent un peu fous…). Moi par exemple, je dors sans rien sur mon dos, je ne perds pas de temps à monter toutes ces toiles, et en plus, je porte toutes ces choses inutiles à mes yeux …

Secundo, je suis toujours resté perplexe devant une autre manie : creuser un trou dans la terre (ce qui demande déjà une certaine énergie) pour mettre au-dessus une chaise percée, le tout recouvert d’une de ces maudites tentes. Et tenez-vous bien, en plus de rester assis parfois un bon moment sur cette chaise dans une position quelque peu ridicule (avec le visage plus ou moins crispé), les humains mettent de la terre dans ce trou qu’ils ont pourtant eu du mal à creuser peu de temps avant… Bref, foi de Tartare, les hommes ont beau être gentils, il faut avouer que leurs habitudes ont de quoi étonner un âne aguerri comme moi !

Après une veillée autour du feu, agrémentée de chants, de canons, d’histoires, de blagues (on avait d’ailleurs un spécialiste en la matière, j’y reviendrai…), et une nuit quelque peu humide, notre joyeuse équipe s’est élancée sur le rude sentier qui devait les conduire à une crête située au-dessus.

Je ne parlerai de cette étape que par ouï-dire, car je n’y étais pas. Elle fut, de l’avis de tous, fort difficile, avec des sentiers raides, pierreux, et glissants. Nos pousseurs eurent quand-même droit à l’aide de Luc, venu en renfort pour cette journée que Franck savait délicate. Ce que je peux dire, c’est que quand je retrouvai le groupe à l’arrivée de l’étape, je remarquais qu’il était plus soudé, plus cohérent, comme si l’effort et l’objectif commun de passer la difficulté avaient permis à chacun de mieux connaître son compagnon de marche.

Le soir, j’eus tout le loisir d’observer mes maîtres qui mangeaient avec délectation des choses appétissantes pour eux, mais que je ne goûte pas du tout : des légumes (et notamment des carottes qu’une des nouvelles a râpées avec une patience remarquable), des saucisses (qui auguraient une vaisselle bien délicate dans le torrent d’à côté), et d’autres mets tout aussi bizarres pour moi. Manuel avait donc gagné ses galons de cuistot du groupe, bien que l’aligot du samedi soir avait déjà laissé aux convives une première impression très prometteuse !

C’est juste avant un bon orage que la joyeuse troupe est allée se coucher sous les tentes (que pour une fois, je trouvais utiles, vu l’intensité de la pluie), avant de s’attaquer à la troisième journée.

Cette étape fut très courte et facile, pour se reposer de la précédente, et ne pas trop se fatiguer avant la suivante. Je serai donc bref. Après un passage sur une petite route assez pentue quand-même, nous avons marché à travers les alpages, face à l’imposante chaîne des Aravis que nous gravirons le lendemain. Nous mangeâmes sur une crête à la vue superbe, mais sans l’ombre d’une ombre, si je puis dire !

En redescendant vers le col du campement, j’eus le loisir d’entendre les blagues désopilantes de Laurent (du genre : « pourquoi les bossus aiment-ils les orages ? Parce que ça les fout droit »), ou divers jeux de mots sur le signe IMC (comme « Incapable de maintenir sa casquette », pour les valides bien-sûr, ou, en parlant du réglage de la joëlette, « i’ manque un cran ! »). C’est dans cette ambiance détendue que tout le monde est arrivé de bonne heure au lieu de camping, a pris le temps de se reposer et d’installer tout le matériel prétendument nécessaire (mais je ne reviendrai pas sur ce point).

Manuel, qui devait conserver ses lauriers fraîchement acquis, régala paraît-il tout le monde avec un Chili con carne, et diverses agapes qui plurent beaucoup à ses semblables.

Le lendemain devait être long et difficile. Franck, dont la langue de bois n’était pas son fort, avait déjà averti tout le monde que ce serait « terrible », mais « pas insurmontable »… Il s’agissait d’atteindre, par un sentier tortueux, un refuge situé sous la Pointe Percée, niché à presque 2200 mètres d’altitude. Nous devions aussi recevoir l’aide de deux jeunes femmes fort sympathiques : Camille et Alexandra. J’eus tout le loisir de voir œuvrer les pousseurs et les passagers, unis et solidaires dans l’adversité.

Je compris aussi ce que Franck appelait un sentier qui « s’éclaircit » : les difficultés (en l’occurrence les marches) sont certes moins nombreuses mais plus difficiles à franchir… Enfin, après un certain nombre d’heures d’efforts, l’équipe arriva au refuge Gramusset, et se désaltéra d’une boisson jaune et gazeuse, dont j’ai oublié le nom…

Le temps avait décidé d’être au beau fixe, si bien que tout le monde mangea dehors, et put admirer un splendide coucher de soleil. Au vu des sourires et des regards de mes compagnons, je compris que cette journée fut le clou de la randonnée, et que tout le monde se sentait fier de l’exploit accompli, ce que je comprenais sans mal. Cependant, pour être tout à fait exhaustif sur l’état des bénévoles, je dois signaler le cas de l’un d’entre eux, qui eut l’idée saugrenue de monter à un col au-dessus du refuge, comme si cette journée éprouvante ne lui avait pas suffi… Ce bipède, qui n’est autre que celui qui retranscrit en langage humain mon récit, avait dû recevoir plus de soleil sur le crâne qu’il n’en avait fallu, mais il revint finalement en bon état et, ce que je trouve inquiétant pour lui, content de son initiative !

Le soleil se leva enfin sur le dernier jour du périple. Il fallait redescendre le sentier si chèrement gravi la veille (j’ai d’ailleurs toujours trouvé fort exacte l’expression « conquérants de l’inutile »), puis longer toutes les combes des Aravis pour atteindre Les Confins, lieu d’arrivée. Patrick, seul handicapé marchant de l’équipe, descendit avant tout le monde avec un des accompagnants. Je dois avouer que j’ai eu pour lui une certaine estime : d’abord, bien qu’handicapé marchant, il était comme moi, c’est-à-dire sur ses pieds ; ensuite, surtout durant cette étape, il a fait preuve d’un réel courage, et d’une belle persévérance, malgré la longueur et la fatigue accumulée durant ces jours d’effort. Néanmoins, je serais injuste de sous-estimer l’endurance des passagers en joëlette, secoués, au soleil toute la journée, et dont le cœur a du s’emballer plus d’une fois dans certains passages escarpés.

Je sentis bien que tout le monde était fatigué, ce qui n’enlevait en rien leur joie d’être là. Mais pour finir ce récit, je voudrais témoigner d’une chose qui selon moi, résuma bien tout ce séjour. Une fois de retour au camping de Saint-Jean-de-Sixt, bien que ne pouvant être directement au milieu d’eux, j’entendis les rires, devinais les sourires de ceux qui allaient me quitter bientôt ; je crus aussi deviner sur leurs visage des regards complices, qui ne voyaient plus les différences liées à l’âge, au sexe ou au handicap, mais qui contemplaient l’essentiel pour eux : l’humanité, la camaraderie, le défi relevé ensemble.

Durant leurs agapes bien méritées (où il y eut du punch, de la reblochonade et de la glace, si si !), je devinais bien aisément leur plaisir d’être ensemble pour encore quelques heures, sous une nuit d’été étoilée et douce, et combien il devait leur être doux de goûter à cet état si précieux sur terre : le bonheur, simple et authentique.

Ainsi s’achève, cher lecteur, le récit de ce périple haut-savoyard. Je te remercie de m’avoir lu, et espère qu’il t’a donné envie de venir, ou de revenir, avec ceux qui sont d’abord tes semblables en humanité.

Tartare